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La contrefaçon? Non merci Par Uché

Si vous vous promenez le long des rues étroites de Xintindi, quartier en vogue, de Shanghai, vous êtes sûr de croiser une foule de citadins chinois se mélangeant à des étrangers en provenance de pays aussi divers que l’Australie, les Etats-Unis, l’Inde ou la Belgique. Installées aux terrasse de cafés ou flânant le long des boutiques chics, les célébrités locales se pressent à Xintidi selon l’immuable rituel de « voir et être vu ».

La foule est aussi diverse, cosmopolite qu’élégante, mais tous ceux qui la composent partage un point commun : une passion pour les marques de luxe. Voyez-vous, dans ce quartier huppé, les sacs Chanel, les chaussures Gucci, les lunettes de soleil Dior, les portefeuilles Louis Vuitton et les montres Rolex sont aussi courants que les baguettes en France. Un iPhone est un ticket d’entrée et une BMW série 5 finit de faire de vous un membre des « happy-few ». Dans ce monde ou les logos et les symboles de marque constituent un langage naturel, une chose n’est pas évidente pour le spectateur non averti : la plupart des produits de luxe que portent ces jeunes beautés sont des contrefaçons. Oui, même les iPhones!

Comment est-il possible qu’un groupe de jeunes citoyens éduqués, cultivés et mobiles puisse posséder des produits de luxe contrefaits? On peut se poser la question. Et bien, la réponse est simple : c’est le comportement de la génération actuelle, qui se moque de la contrefaçon. Aujourd’hui, il est non seulement acceptable d’acheter des produits contrefaits, mais il est parfaitement correct de les exposer en public. Pourquoi pas un nouveau jeu de devinettes épouvantable : distinguer le vrai du faux? Scandaleux? Et bien, pas pour une nouvelle génération de consommateurs qui ne semblent pas s’intéresser aux éventuelles conséquences de la vente et de l’utilisation des produits de luxe contrefaits – Ni même de ses conséquences sur la société et l’économie.

Avant de vous demander pourquoi je ponte seulement la Chine, laissez-moi simplement vous signaler que le problème des produits de luxe contrefaits est un problème global. Il n’est ni spécifique à une région, ni à un groupe d’âge. Il concerne tous les pays, toutes les cultures, tous les groupes sociaux et les structures de richesse. Et il a autant d’impact sociologique que de conséquences économiques. Mais, pourquoi s’en préoccuper? Pour plusieurs raisons, à commencer par le fait que le problème de la contrefaçon touche tout le monde, que nous le sachions ou non, que nous l’acceptions ou non. D’abord, jetons un coup d’œil sur ce que je veux dire par contrefaçon ou par produits de luxe contrefaits.

À mon avis, il y a quatre niveaux dans l’industrie de la contrefaçon de luxe, comme je l’ai souligné dans mon livre Luxury Fashion Branding, publié en 2007.

Le premier groupe est celui des produits contrefaits, qui sont à cent pour cent des copies de produits originaux, faits pour tromper les consommateurs en leur faisant croire que sont des produits authentiques. On en trouve de nombreux exemples sur des sites internet qui prétendent vendre des versions originales bien qu’ils soient vendus à une fraction du prix de l’original.

Le deuxième groupe est celui des produits piratés, qui sont des copies d’articles authentiques, mais conçu de manière à ce que le consommateur soit conscient qu’ils sont faux. Le “Hi-Phone” ou le sac à main “Christian D’or” appartiennent à cette catégorie.

Le troisième groupe est celui des produits d’imitation, qui ne sont pas à cent pour cent identiques des originaux, mais assez semblables par le nom, le style, la forme, le sens ou l’intention. Les consommateurs sont ainsi souvent conscients que ce ne sont pas des produits originaux.  Il s’agit notamment de tous les sacs à main ‘wannabe’ Chanel matelassés ou des fameuses chaussures à semelles rouges Louboutin.

Le dernier groupe est celui  des exemplaires sur-mesure. Ce sont des copies du style d’une conception de marque de produits fabriqués par des artisans légitimes qui peuvent ou non avoir un lien avec la marque.

Alors à laquelle de ces catégories fais-je référence? Eh bien, à toutes, puisqu’elles sont toutes liées entre elles. La contrefaçon, en général, couvre tout type de violation des droits de propriété intellectuelle et touche à l’économie de marché au-delà de celle du luxe et de la mode.

Il est bien connu que les produits contrefaits ne se résument pas aux vêtements et autres articles de luxe. Les produits pharmaceutiques et électroniques, les CDs et DVDs, les pièces automobiles, les ordinateurs sont aussi touchés. Même les biens de consommation comme le thé, le café ou les cigarettes entrent dans la catégorie ‘top 10’ des produits les plus contrefaits. Ce dernier groupe semble toutefois être pris plus au sérieux que celui des vêtements, maroquinerie, montres et autres articles de luxe. Pourquoi? Eh bien, certains soutiennent la théorie que tant que personne ne meurt, nous pouvons tous vivre avec cette pratique.

Et cela me ramène au consommateur de ces produits de contrefaçon  et à la question de savoir s’il est la cause du problème ou non. On dit souvent que la demande pour ces articles de luxe contrefaits affecte directement l’approvisionnement. Les personnes de cet avis accusent le consommateur de vouloir de la contrefaçon et croient que les fournisseurs ne font que répondre à une loi économique naturelle. Mais est-ce réellement le cas?

Prenons la Chine par exemple. Ce pays, responsable de la production d’environ 85% des articles de luxe contrefaits (dont la plupart sont exportés), est également en passe de devenir le principal marché pour les produits de luxe authentique. L’Italie, qui est l’origine traditionnelle de produits de luxe authentiques, est également le fournisseur numéro un des articles de luxe contrefaits en Europe avec une activité annuelle de plus de 7,5 millions de dollars. Mais lorsqu’on on regarde les chiffres aux Etats-Unis (en particulier à New-York et Los Angeles), qui est le plus grands marché de produits de luxe contrefaits, on se  demande si le consommateur est le seul responsable de cette industrie de contrefaçon qui génère  600 milliards de dollars par an, en incluant les articles de luxe . Cependant, à en juger par l’attitude laxiste du “tant que ça ne tue pas, ça nous va” que semblent adopter les consommateurs de cette région, on peut penser que c’est le cas.

Mais, le revers de la médaille, c’est celui de l’approvisionnement. Les fabricants et les fournisseurs d’articles de luxe contrefaits sont-ils responsables de l’existence et la croissance de cette pratique et si oui, ceci peut-il être justifié? Est-il suffisant d’accuser la Chine, la Turquie, la Thaïlande ou le Maroc qui sont la provenance de ces marchandises? Est-il acceptable de justifier leur présence par sympathie pour les personnes pauvres qui travaillent dans ces sites de production, qui autrement n’auraient pas d’autre moyen de subsistance?

Ou bien peut-on dire que les producteurs d’articles de luxe contrefaits rendent service aux marques en améliorant indirectement leur visibilité, comme je l’ai entendu tant de fois? Ou peut-être, peut-on même penser secrètement que les marques de luxe en question, qui sont très rentables, ne méritent aucune sympathie.

Avant de prendre parti, je voudrais attirer votre attention sur le fait qu’environ 5% -7% du commerce mondial provient de la contrefaçon et que cette industrie est d’une valeur de 600 milliards de dollars par an. Cette pratique coûte au gouvernement américain entre $ 200 milliards et 250 $ milliards de dollars annuellement. Les entreprises américaines ont également subi 9 milliards de dollars de pertes commerciales en raison du piratage de copyright international. Si vous pensez toujours que cela ne vous touche pas directement, alors vous serez peut être plus sensible au fait que cette pratique est directement responsable de la perte de plus de 750 000 emplois américains. Ou bien que 11% des vêtements et des baskets dans le monde provient de la contrefaçon, et que s’il vous arrive d’acheter du dentifrice Colgate contrefait, il peut contenir un produit chimique toxique utilisé dans l’antigel. Ou alors que votre sachet de thé Lipton est peut être l’un des nombreux contrefaits qui a pénétré le marché, avant que 20.000 kg de faux aient été saisis par les autorités belges il y a plusieurs années.

Maintenant que j’ai votre attention, il me faut rappeler que le marché mondial du luxe perd 250 milliards de dollars annuellement à cause de la contrefaçon, dont 9,2 milliards de dollars directement dans l’industrie de la mode. Lorsque nous prenons en compte les emplois et les opportunités d’affaires potentiellement perdues, ça commence à peser lourd. En France, où l’industrie du luxe est le quatrième secteur de l’emploi le plus important, l’impact est encore plus fort.

Des statistiques récentes indiquent qu’environ 38 000 emplois sont perdus chaque année à cause de la contrefaçon du luxe en France. Cette pratique coûte à l’économie française 7,8 milliards de dollars par an. Au Royaume-Uni, à cause de la contrefaçon, la réduction annuelle du PIB est estimée à 1,2 milliards de dollars. Dans la bouleversement de l’économie actuelle, ces pertes sont désastreuses.

Un rapport récent a également montré qu’en 2009, les douanes américaines & la protection des frontières ont trouvé des marchandises de contrefaçon d’une valeur de 260,7 millions de dollars, dont la plupart étaient des chaussures (99,8 millions de dollars), des sacs à main et portefeuilles (21,5 millions de dollars), des vêtements (aussi $ 21,5 millions), des montres (15,53 millions de dollars), et des bijoux (10,5 millions de dollars). En Italie, durant la même année, la valeur des saisies de produits contrefaits était estimée à € 7,1 milliards. Mais ce qui est plus troublant, c’est que d’ici 2015, la contrefaçon pourrait coûter à l’économie mondiale un montant estimé à 1 trillion de dollars.

Mais pourquoi cette pratique se développe t-elle sans que rien ne soit fait pour la combattre ? C’est d’abord le problème de la multiplicité des lois et normes relatives à la propriété intellectuelle. Bien que le but du récent Accord Commercial Anti-Contrefaçon  (ACAC), qui a été mis en place en Novembre 2010, est d’établir des normes internationales sur les droits de propriété intellectuelle d’exécution, cet organisme indépendant n’est pas encore en mesure de surmonter des lois fragmentés et incohérentes des pays participants. N’oublions pas que la participation est entièrement volontaire, ce qui n’est pas contraignant. En Europe, où la directive européenne qui stipule l’ACAC est généralement appliquée à titre indicatif, il reste encore une certaine cohérence dans l’approche de la protection de la propriété intellectuelle. Lorsqu’il s’agit de secteurs spécifiques tels que le luxe et la mode, c’est une autre histoire, les lois et disposition générale à leur application ne sont plus les même.

Prenons la France par exemple. Le secteur du luxe français a réussi à faire pression pour établir une législation  contre la contrefaçon, non seulement en ce qui concerne la production mais également pour l’utilisation et pour la possession. Traduction: si on vous arrête avec un produit de luxe contrefait, vous risquez d’aller en prison pour une durée maximum de 3 ans. Et la loi se moque que vous l’ayez reçu comme cadeau d’anniversaire par votre meilleur ami qui vit en Turquie. Au Royaume-Uni, Italie, Allemagne, Espagne et autres pays de l’EU, la loi n’est pas encore à ce niveau.

C’est peut-être la raison pour laquelle le secteur du luxe doit se réunir pour lutter contre la contrefaçon par des efforts collectifs. Bien que des efforts indépendants pour combattre le commerce de contrefaçon soient réalisés par des marques très concernées, comme Louis Vuitton, Burberry, Chanel, Gucci, Dior ou Rolex, l’impact reste minime. La récente initiative de lutte anti-contrefaçon du Conseil des Créateurs de Mode d’Amérique (Council of Fashion Designers of America), qui implique une campagne intitulée “You Can’t Fake Fashion”, mettant en vedette des sacs à mains de 50 créateurs de mode américains, semble se diriger dans cette direction. En France, la campagne “Contrefaçon, Non Merci”, initiée par le Comité National Anti-Contrefaçon, qui est régie par l’Institut national français de la Propriété Intellectuelle (INPI), est un modèle pour l’industrie du luxe.

Certains reproches à l’industrie du luxe de ne pas faire assez pour lutter contre cette pratique à travers une plateforme collective, en dehors des appels indirects au raisonnement moral des consommateurs, par des opérations de relations publiques et de communication. Peut-être est il temps pour l’industrie du luxe de s’atteler à cette ambition.

Pour en savoir plus  sur ce sujet, n’hésitez pas à consulter les références suivantes également utilisé pour la recherche de cet article

-   International Anti-counterfeiting Council
-   Council of Fashion Designers of Amercia
-   Comité National Anti-Contrefaçon
-   Référence 1
-   Référence 2
-   Référence 3
-   Référence 4
-   Référence 5
-   Référence 6
-   Référence 7
-   Référence 8
-   Référence 9
-   Référence 10
-   Référence 11
-   Référence 12
-   Référence 13
-   Référence 14
-   Référence 15
-   Référence 16
-   Référence 17

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